Les origines et l’histoire du bourg
Le bourg de Lafrançaise a une longue histoire de plus de sept siècles, qui commence par un Acte de donation (1274) de terres concédées au roi Philippe le Hardi par la famille de Saint-Geniez pour y fonder une bastide, sur l'ancienne paroisse de Saint-Pierre de Bénas. La nouvelle communauté que l’on désigne dès l’origine comme « Villa Francese » reçoit en 1275 une charte de coutumes.
Le nom choisi marque l'appartenance de la bastide au royaume de France après le rattachement du Comté de Toulouse au domaine royal, mais aussi dans le contexte des rivalités franco-anglaises qui font de cette région une zone frontière entre pays toulousain français et Gascogne et Guyenne anglaises. La nouvelle bastide, comme toutes les fondations similaires du XIIIe siècle, période d’apogée démographique et économique du Moyen âge, doit permettre de peupler une nouvelle zone, d’y développer l’activité commerciale (grâce à ses marchés et ses foires dont la tenue est fixée par la charte), et peut-être aussi d’en assurer la défense conjointement au château des Mothes sur le coteau qui lui fait face. Elle se situe en effet en surplomb d’une zone de passage sur la rive droite du Tarn, au pied du coteau et sur les bords de la zone marécageuse de la Nauze.
Mais pour qui se promène dans ses rues, cette longue histoire ne se découvre pas immédiatement. Ici, pas de vieille église romane ou gothique, pas de maisons à pans de bois. Le temps a fait son œuvre, et les guerres aussi sans doute, puisque la bastide en a connu les vicissitudes, occupée par les Anglais durant la guerre de Cent Ans, mise à sac par les protestants de Montauban durant les guerres de Religion.
De cette vieille bastide ne demeurent donc dans le bourg actuel que quelques indices. Le premier est lié à l’organisation et au tracé de rues caractéristiques des villes neuves du Moyen âge, bien que contraint ici par la topographie. Lafrançaise s’est développée autour des deux voies principales (aujourd’hui rue Louis Pernon et rue Mary-Lafon) entrecoupées d’une ruelle secondaire en angle droit (actuelle rue Traversière). Ces deux rues partaient de la place commune située à l’extrémité sud de la bastide (aujourd’hui la place de la République) et de la porte du Tarn, pour rejoindre une extrémité nord située au niveau de l’actuelle place de la Promenade. La ville était enceinte de murailles et de fossés ; c’est d’ailleurs sur les anciens fossés de Lafrançaise que fut construite au XIXe siècle la rue Léon Cladel. Dès le XVIe siècle, un faubourg dit « du Moulin à vent » ou du Ginest prolongeait l’habitat au nord, autour de la route menant à Bénas, à Francou, à Lauzerte.
Le deuxième indice, ce sont des armes « de gueules à la croix vidée, cléchée et pommetée de douze pièces d’or, cantonnée de quatre fleurs de lys du même », armes aujourd’hui reproduites sur un mur de l’Office de tourisme et qui ornaient un sceau communal dont la plus ancienne description connue remonte au début du XIVe siècle (dans un document des Etats du Quercy de 1309). La croix de Toulouse y rappelle que la zone de Lafrançaise appartient aux comtes de Toulouse depuis la fin du IXe siècle ; les lys renvoient à la fondation royale et au fait qu’à la mort d’Alphonse de Poitiers et de sa femme Jeanne de Toulouse en 1271, le comté de Toulouse intègre le domaine royal.
C’est sans doute véritablement à partir du XVIIe siècle, lorsque le temps a effacé les vicissitudes de la guerre de Cent ans et des guerres de Religion (au cours desquelles Lafrançaise a été prise et mise à sac à plusieurs reprises), que le bourg prend son essor. Le pays lafrançaisain bénéficie de l'essor économique des vallées du Tarn et de l’Aveyron, lié entre autres aux activités de minoterie (moulins de Parazols et de Saint-Pierre de Campredon sur l'Aveyron), au trafic fluvial (vin depuis le Moyen âge, farine et cadis de Montauban dont la prospérité rejaillit sur ses campagnes au XVIIIe siècle) en direction de Bordeaux et de l'Atlantique (avec le Port Noguier sur le Tarn, déjà signalé dans la charte de fondation). Cette vocation agricole et commerciale perdure au XIXe siècle et durant la majeure partie du XXe siècle puisque la zone de Lafrançaise, plus encore que le reste du département, reste peu affectée par le développement industriel.
Les nombreuses places et esplanades découvertes que possède le bourg reflètent d’ailleurs son importante vocation commerciale au sein d’un riche terroir agricole. Cette vocation existe depuis la fondation de la bastide, puisque là encore la charte de coutumes évoque, outre le marché du mercredi, les foires de la Saint Georges et de la Saint Michel et le Port Noguier (aujourd’hui le Saula) sur le Tarn. Les abords du bourg en esplanade qui se trouvent au nord (puis ceux à l’ouest et à l’est) des deux rues principales, au pied des murailles et fossés de la ville, servent de foirail. Mais l’extension de l’habitat au XIXe siècle va les transformer en une série de places dont chacune se voit attribuer une fonction que révèlent les plans de la ville de cette époque : foirail au bœufs sur l’actuelle Esplanade Boscq, marché aux cochons sur l’actuelle place de la Halle, marché aux moutons (Place du Centre), marché aux ânes et aux chevaux (Place Rémi Cornet), marché aux oies (place Midi-Pyrénées). La Place de la Promenade enfin, qui est devenue aujourd’hui géographiquement la place centrale du village et accueille le marché hebdomadaire, a réellement pris sa fonction d’espace de sociabilité au cours du XIXe siècle. On y plante alors des arbres et s’installent à proximité des salles de bal, des cafés...
La place de la République
C’est là, à l’extrémité sud de la bastide, que se trouvait la « place commune » puis « place découverte » évoquée dans des documents des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, placée dotée d’un puits et de laquelle partaient les rues principales en direction du Nord. C’est là aussi que se trouvait la porte du Tarn qui ouvrait sur les routes du Saula et de Montauban (actuelle Côte Saint Georges), ainsi que de Moissac (actuelle avenue Gouges Boutal). La « maison commune » de la bastide prévue par la charte et signalée plus tard par des sources du XVIe siècle avait également été construite en bordure de cette place.
Mais les vestiges architecturaux que l’on peut aujourd’hui découvrir sont beaucoup plus récents. Le rez-de-chaussée de l’actuelle mairie est l’ancienne halle (ou « place couverte ») construite au XVIIe siècle (vraisemblablement à l’emplacement de l’ancienne maison commune) et remaniée à la fin du XVIIIe siècle. Dans ce bâtiment et sur la place se tenait un marché hebdomadaire dont l’origine remonte à la charte de fondation. Lorsque la municipalité entreprend la construction d’un nouvel hôtel de ville, en 1896, elle choisit de la placer au-dessus de cette halle, dans la perspective de l’entrée du bourg (et la nouvelle mairie retrouve sans doute ainsi l’emplacement originel de la maison commune). Pour cela le toit est supprimé, les murs partiellement dérasés, et le premier étage construit par l’architecte départemental Jean Combebiac dans un style néo-classique soucieux de respecter la succession des ordres : des colonnes d’inspiration dorique soutiennent l’escalier en fer à cheval, tandis qu’à l’étage ce sont des colonnes de style ionique qui supportent l’entablement et le fronton triangulaire. Mais nouvelles techniques et nouveaux matériaux se mettent au service des ambitions architecturales de la municipalité et deux grands arceaux métalliques sont ajoutés pour supporter la masse imposante du nouvel édifice.
De l’autre côté de la place s’élève l’église Saint-Georges. Le monument actuel date de la fin du XIXe siècle mais on trouve trace d’une église dans la bastide à la fin du XVe siècle. Les guerres de Religion l’ayant ruinée, elle doit être reconstruite au XVIIe siècle. Ce second bâtiment se trouvant en très mauvais état au XIXe siècle est alors entièrement reconstruit à la fin du siècle en style néo-gothique selon les plans du célèbre architecte toulousain Gabriel Bréfeil (à qui l’on doit également la chapelle romano-byzantine de Lapeyrouse). Son orientation est alors inversée pour l’ouvrir sur une place dont l’importance s’accroît. On y trouve notamment dans le chœur un ensemble de verrières historiques évoquant de grands épisodes d’un « roman national et catholique » : baptême de Clovis, Saint Bernard prêchant la Croisade, Saint Louis rendant la justice, martyre de Jeanne d’Arc, ou encore une figure allégorique de la France offrant la basilique Montmartre au Sacré Cœur de Jésus.
Entre ces deux bâtiments devenus emblématiques du paysage urbain lafrançaisain, il y a l’actuelle « maison d’animation » qu’occupe partiellement l’Office de Tourisme intercommunal et qui date, dans sa forme actuelle, du premier quart du XIXe siècle. Cette belle maison bourgeoise abritait depuis 1863 la mairie (jusqu’en 1896) et la justice de paix sur sa partie avant, la prison de Lafrançaise en dessous. Les locaux de la maison commune, qui se trouvaient depuis le XVIIe siècle dans la Grande rue, étaient en effet devenus trop exigus à cette époque pour une municipalité dont les fonctions et les attributions s’accroissent depuis la Révolution. Mais elle abritait aussi, tout d’abord dans sa partie arrière, une école des garçons en pleine expansion avec la généralisation de l’enseignement primaire au cours du XIXe siècle et qui avait donc également eu besoin d’accroître ses locaux... Un portail à l’arrière, portant la date de 1862, permettait autrefois d’accéder à cette école avant qu’elle n’occupe l’ensemble des locaux après l’ultime déménagement de la mairie à la fin du siècle.
Entre cette maison et l’église, l’Esplanade des combattants amène aujourd’hui vers le monument aux morts. Il s’agit d’une œuvre d’André Abbal à la mémoire des soldats « morts pour la France », surmonté d’une statue de Saül Cladel à la gloire de la France triomphante dont la figure allégorique soulève l’aigle allemand terrassé. Son installation en 1922 à cet endroit a entraîné le déplacement des statues de la Vierge à l’Enfant et du Christ à l’entrée de l’église (érigées en 1864 pour la première, en 1911 pour la seconde, à l’issue de missions, dans un contexte de tentative de reconquête catholique de l’espace et des âmes). Le sacré national et républicain investit désormais l’endroit en lieu et place du sacré catholique, tout comme le lieu du pouvoir civil municipal a investi la place principale à partir de 1862.
Ainsi, progressivement, l’ancienne « place découverte » de l’Ancien Régime est devenue le cœur de la vie sociale, publique, civique de Lafrançaise, flanquée de la mairie, de l’école publique, de la nouvelle entrée de l’église paroissiale et d’une esplanade menant aux « lieux sacrés ». Cette centralité suppose alors qu’elle reçoive un nom à la mesure de son importance : elle portera successivement, à partir du début du XIXe siècle, les noms de Place impériale, puis Place royale, Place de la Mairie, avant de prendre en 1910 son nom actuel de Place de la République.
Sur la place de la République se dressent également plusieurs maisons de caractère : à l’entrée de la rue Mary-Lafon se trouve la maison Inard puis Jordanet (maire de Lafrançaise de 1865 à 1885 et conseiller général) et face à elle, de l’autre côté de la place, la « maison Boscq » ; toutes deux datent de la fin du XVIIIe siècle.